Chapitre sept : Premier entretien d'embauche

Le plus pénible lorsqu'on est SDF, ce n'est pas le sommeil. C'est vrai que Baptist avait eu la chance d'entendre parler de la maison O'Reilly, une maison soi-disant hantée. Quoi de mieux alors pour lui que d'aller squatter la bas. Il est au chaud, il peut laisser ses affaires dans un coin et surtout lorsque des mômes viennent le déranger, il suffit de faire du bruit et ils partent en courant, croyant d'autant plus aux fantômes. Cela lui donne même l'occasion de bien rire. Le plus difficile, ce n'était pas non plus la faim. On n'imagine pas tout ce qui recèle dans les poubelles de la ville. Il suffit de voir celle des supermarchés. C'est fou le nombre de produits qu'ils peuvent jeter alors que c'est à peine périmé, à peine abimé ou juste un peu pourri. Autant dire que certains jours, Baptist peut presque se faire un véritable festin. Non, ce qui dérangeait vraiment Baptist, c'était de ne pas pouvoir se doucher tous les jours. Il se lavait les dents chaque jour, un peu comme il pouvait vu que son logement de fortune n'avait pas l'eau courante. Mais il se voyait mal remplir encore plus de bouteilles à la fontaine du parc sans passer pour un fou. Et puis, c'était froid. Il avait bien trouvé une parade en allant à la piscine presque tous les soirs mais cela coutait cher et il n'avait pas les moyens. Sinon, il allait à la mer, comme ce matin là. Après son footing, il se rendit directement à la plage.

C'était tôt, on était en hiver, autant dire qu'il n'y avait pas grand monde. Parfait. Il retira son pantalon et son t-shirt avant de sauter dans l'eau. D'accord, elle était plutôt fraîche mais cela faisait tellement du bien d'enlever sa crasse. Pourtant, pas question de s'y éterniser et de jouer avec son chien. Il avait un rendez vous et pas question d'être en retard. D'ailleurs, il avait fait les choses bien. Il s'était rasé, il avait même des vêtements propres qui sortaient tout juste de la laverie. Ce n'était pas le premier entretien et il espérait vraiment le décrocher. Pourtant, il n'avait pas d’expérience dans ce domaine et son casier ne parlait pas en sa faveur. Mais qui ne tente rien n'a rien et ce serait le début d'une nouvelle vie. Il plissa un peu mieux son haut avant de pénétrer à l'adresse que Evelyn Zimmer lui avait donner par téléphone. Il se présenta, on l'accompagna alors devant une porte. Le bureau de la patronne. Il toqua avant d'entrer. S'approchant du bureau, il lui adressa un sourire chaleureux avant de lui tendre la main.
« Bonjour, Baptist Levingston, je viens pour le poste de détective. On s'est parlé au téléphone.
- Bonjour, je suis Evelyn Zimmer. Asseyez-vous, je vous en prie. »
Baptist venait d'entrer dans la pièce et il serra la main de sa possible future patronne avant de s'assoir sur le siège en face d'elle. Aucun doute, la jeune femme avait de la classe, il suffisait de voir son bureau et son tailleur impeccable. Ce devait être une femme avec un fort caractère, le genre qui ne se laisse pas marcher sur les pieds et qui dirige la société d'une main de fer. Le genre de femme qui lui plaisait de plus en plus. Enfin bref, il ne fallait pas que ses pensées commencent à dériver
« Vous pouvez me remplir ça s’il vous plaît. Et résumez-moi votre expérience. Thé ou café ? »
Il posa son regard sur le formulaire tout en refusant poliment les boissons proposées par la jeune femme. Il avait le café en horreur et depuis son plus jeune âge, il buvait surtout du lait froid mais il n'allait pas commencer à faire le chieur en demanda cela alors il se contenta de refuser poliment. Il se re-concentra à nouveau sur le formulaire. Bon alors, nom, prénom, ça s'était facile à remplir. Date et lieu de naissance, nationalité, cela ne posait pas plus de souci. C'était après que cela se compliquait. Merde, une adresse et un numéro de téléphone. Il ne pouvait décemment pas écrire Maison de Madame O'Reilly, elle le prendrait pour un fou et il tenait à ce que son lieu d'habitation reste secret. Sans même faire attention, il se mit à mordiller le stylo de la jeune femme tout en réfléchissant à un stratagème pour éviter de remplir ce formulaire à la con.

Et le destin semblait être de son côté aujourd'hui. Il ne releva pas les yeux lorsqu'elle répondit au téléphone mais il suivait la conversation avec attention.
« Agence Zimmer à votre service [...] Non Stuart, pas la perceuse. Demande aux voisins. [...] Je t’en prie, Stuart non ! N’oblige pas Maman à rentrer. »
Ah tiens, elle avait un fils, c'était peut-être une brèche à exploiter. Si lui aussi parlait de son fils et que la conversation dérivait la dessus, elle oublierait peut-être les formalités administratives. Elle venait juste de raccrocher et s'adressa à Baptist.
« Mon fils, une vraie plaie.
- Ils nous en font toujours voir de toutes les couleurs mais au final, sans eux, on ne serait pas grand chose »
Et autant dire qu'il parlait en connaissance de cause.
« Ouais, le mien est une plaie. Il a 10 ans et c’est un petit fugueur. »
Baptist espérait tout de même que sa possible future employeuse ne lui pose pas trop de question sur son fils. Après tout, il serait capable de mentir, de parler de Nathan pendant des heures. Cela faisait trois ans qu'il imaginait tout sur son fils : son caractère, ses amis, ses activités favorites et cela ne serait pas compliqué pour lui de faire durer la conversation sur ce sujet. En tout cas, si cela pouvait lui éviter de rendre le formulaire à Evelyn, il ferait tout et n'importe quoi.
« Ah fugueur à ce point ! Le mien, il est pas assez courageux pour partir à l'aventure comme ça et puis, on est trop proches pour qu'il puisse avoir envie de fuir quelque chose »
Sauf peut-être fuir Londres, sauf peut-être revenir en Irlande. quoi qu'en y réfléchissant bien, il préférait largement, le savoir en Angleterre avec la famille de sa mère plutôt que seul en Irlande. Lui qui vivait comme un SDF savait que c'était compliqué de survivre et il n'imaginait pas ce que pourrait enduré un gamin. Cela était difficile à admettre pour lui mais il préférait le savoir en sécurité.
« Est-ce que vous sous-entendez quelque chose, monsieur… ? Levingston. Faites attention, je suis très susceptible et j’adore botter des fesses. »

Baptist avait espéré que la conversation concernant leurs fils respectifs puisse se prolonger encore un peu plus. Il voulait augmenter son capital sympathie auprès de la jeune femme avant d'être forcer de lui révéler son passé. Evidemment, il ne comptait pas s'éterniser sur les raisons de son emprisonnement mais il ne pouvait décemment pas lui mentir. Il n'a jamais été très doué pour cela et même s'il a fait des progrès en prison, cela n'aurait certainement pas été suffisant pour tromper la jeune femme. Pourtant, il semblait s'y prendre de façon très maladroite pour évoquer leurs deux garnements. Il n'y avait aucun sous-entendus dans ces propos, il évoquait juste sa relation avec son fils et faisait comme si ce dernier était sous sa garde. Ce qui évidemment, était totalement faux. Cela faisait trois années qu'il n'avait plus de nouvelles de Nathan mais il ne voulait pas se faire recaler alors que ce job lui permettrait peut-être de le retrouver.
« Détrompez vous, il n'y avait aucun sous-entendus dans mes propos. S'il a fugué, il devait certainement avoir une bonne raison et juger vos relations avec votre fils n'était pas dans mes intentions. »
Bordel, il savait parler correctement quand il le voulait, quand il devait faire bonne impression. Finalement, l'éducation qu'il avait reçu de ses parents lui servait aujourd'hui à quelque chose. Jamais il n'aurait voulu le reconnaitre mais il devait se rendre à l'évidence. Avoir une certaine éducation de la bourgeoisie anglaise l'aiderait certainement un jour ou l'autre à dépasser le fait qu'il avait fait de la prison.

Et il aurait encore pu parler sur le sujet mais déjà, elle lui arrachait le papier des mains. Et merde. Avec ce qu'il avait marqué, impossible qu'elle se décide à l'engager. Il faudrait peut-être qu'il pense à inventer un mensonge crédible pour expliquer trois ans sans activité et le fait qu'il ait choisi d'arrêter son job de médecin. En tout cas, pour ça, c'était déjà trop tard. Il baissait les yeux, s'attendant à un énième refus. Pourtant, la question d'Evelyn le laissait perplexe.
« Vous n’avez pas mis d’adresse. Je fais comment pour les fiches de paies ?
-  Ça veut dire que je suis engagé ? »
Si le seul problème qu'il trouvait à son statut de SDF, c'était les fiches de paie alors peut-être qu'elle envisageait de lui faire un contrat. Il n'eut pas à attendre plus longtemps la réponse et elle était positive. Il ne connaissait rien de cette femme mais autant dire qu'il ferait tout pour la remercier en étant sérieux dans le boulot.
« Bon, c’est mon collègue qui s’occupent des entretiens d’embauches. Heureusement qu’il n’a pas fait le vôtre. Bon votre casier, je m’en fous royal ! Au contraire, le mien est long comme la Bible. Je rentre chez les gens en défonçant les portes. Bref, j’vous engage. Un poste d’assistant, ça vous ira ? Et j’vais vous écrire une lettre et vous verser une avance pour un appart’. Il vous faut un logement pour que je puisse vous payer. »
Il hocha affirmativement la tête lorsqu'elle lui proposa un poste d'assistant. Il n'avait pas les moyens de jouer le difficile. Il ne pu s'empêcher de la remercier chaleureusement.
« Je sais pas quoi vous dire. Jusque là, j'ai eu que des refus catégoriques et là, c'est plus que ce que j'aurais pu espérer. Je commence quand ?
- Vous êtes à l’essai, monsieur Levingston. Si vous ne faites pas ce que j’ai demandé, je vous vire et je vous garantis que personne ne vous réengagera. Et procurez-vous un téléphone. Les gens sont cons. Que voulez-vous que je vous dise ? Vous avez fait de la prison. J’ai un abonnement là-bas. L’essentiel dans ce boulot, c’est d’être tenace. Je le suis. Un bouledogue. »
Elle se leva pour ouvrir la fenêtre et allumer une cigarette.
« Je vous donne deux semaines pour remplir les conditions. Et vous commencez lundi. On se donne rendez-vous au stand de tir à neuf heures du matin. »
Il n'était qu'en période d'essai mais il allait tout faire pour donner satisfaction à Evelyn Zimmer. Elle ne semblait pas commode, elle ne semblait pas rire mais peu lui importait. Il avait besoin de ce travail et de la thune qui allait avec et il ne comptait pas faire le con. Pourtant, c'est ce qu'il se disait aujourd'hui, mais demain encore, il n'en ferait qu'à sa tête. S'il déciderait d'acheter un téléphone portable, ce n'était pas pour faire plaisir à sa patronne mais surtout pour que Célian puisse le joindre n'importe quand, à n'importe quelle heure. On ne se refait pas. Pourtant, il acquiesça lorsqu'elle le somma de se procurer un portable. Il l'écouta ensuite parler de ses séjours en prison et il ne savait pas si cela devait le réjouir ou l'inquiéter. Lui n'était pas un délinquant, il n'était même jamais aller à l'encontre de la loi mais pour son employeuse, cela semblait être différent. Pour l'instant, il s'en fichait vu qu'il avait un contrat de travail mais il doutait un peu de la suite de leur aventure commune.
« Je serais au rendez vous sans problème. »
Le stand de tir. Il avait une certaine appréhension de tenir une arme dans ses mains mais qu'importe. Cela faisait partie du métier et il le fallait bien.

© Fiche de Hollow Bastion sur Bazzart