Chapitre onze : Entre bonnes et mauvaises nouvelles

« Kazan, arrête, laisse moi dormir encore un peu »
Baptist se retourna et tenta d'écarter le chien avec sa main. Mais l'animal est têtu, certainement un trait de caractère qu'il a pris à son maître Nathan. Pourtant, Baptist a toujours été un petit dormeur. Quatre ou cinq heures par nuit cela lui suffit mais pas ce matin. Tandis que les rayons de soleil percent à travers les volets, Baptist place sa tête sous la couverture pour tenter de dissuader son chien. Mais rien à faire et Kazan glisse son museau sous la couverture et vient chatouiller le cou de l'homme.
« Oui, c'est bon je me lève, arrête maintenant »
En entendant le ton ferme de Baptist, on pourrait croire que ce dernier est de mauvaise humeur mais c'est tout le contraire. Il pensait qu'en tant qu'ancien médecin, les longues journées de boulot non stop à rester aussi concentré que possible seraient un jeu d'enfant. Mais les trois années en prison, à rien faire pendant des heures et des heures avaient laissé des traces. Et son nouveau métier de détective n'était pas de tout repos et il faut dire clairement, il avait du mal à suivre le rythme. Hier soir encore, il n'avait pas pu aller faire des longueurs de piscine comme chaque soir à cause d'une mission de filature et il était rentré très tard chez lui, enfin dans la maison de Madame O'Reilly. Il avait trouvé Kazan, déjà allongé et normal qu'il soit en pleine forme ce matin, ce qui n'était pas le cas de l'homme. Mais il suffit à Baptist de se souvenir quel jour il était pour retrouver le sourire et son entrain habituel.

Il enfila alors rapidement son survêtement et son sweat avant de se diriger vers la sortie. Kazan filait devant lui en jappant, grattant doucement la porte. Sitôt libéré, il se mit à courir dans tous les sens avant de rejoindre son maître et de courir à ses côtés, calquant ses enjambées sur celles de Baptist. Il leur fallu une petite heure pour faire leur tour habituel et une bonne trentaine de minutes pour se rendre à la piscine pour se doucher. Cela n'était guère pratique mais il avait sa carte de membre et cela lui évitait de payer plein tarif à chaque fois. Une fois propre, il enfila un jean et un pull qui sortait de la machine la veille avant de faire un détour pour déposer ses affaires. Il arriva ensuite juste à l'heure à son rendez vous avec Célian. Cela faisait à présent presque un mois qu'ils se voyaient tous les samedi. Et autant dire que ces moments à deux étaient juste des moments magiques. Ils étaient allés au parc d'attractions, faire un bowling, manger au restaurant et aujourd'hui, Baptist avait prévu autre chose.

Depuis qu'il avait une paie, il s'en servait avant tout pour se nourrir, faire sa lessive et se faire beau avec rasoir, eau de toilette et brosse à dents. Mais cet argent servait aussi à gâter son filleul. Il lui rapportait un petit cadeau à chacune de leurs rencontre comme pour s'excuser de ne pas pouvoir le prendre avec lui, l'élever et d'être obligé de le laisser avec sa famille d'accueil. Aujourd'hui, il avait de cadeau avec lui, le cadeau serait pour plus tard. Il s'installa quelques instants sur le banc mais il n'eut pas à attendre très longtemps que Célian arriva et se jeta dans ses bras. Après quelques formules d'usage, Baptist prit la main du garçon pour l'entrainer dans leur activité de la journée. Evidemment, Celian ne posa pas de questions, il avait comprit à force, que c'était simplement une surprise et que son parrain ne dévoilerait rien. Quelques instants plus tard, ils étaient devant le centre équestre de Tramore. Baptist salua quelques personnes avant d'entrainer Célian devant un box. A l'intérieur, un poulain tout noir était allongé dans un coin du box, sur la paille.
« Je te présente Jupiter. Il est né, il a seulement quelques semaines. »
Non, Baptist ne l'avait pas acheté, il n'en avait pas les moyens. Il regardait le jeune garçon qui lui lançait un regard interrogateur.
« Je sais que tu aimes les animaux et je sais que tu as toujours voulu monter à cheval. Ici, ils proposent pour les jeunes cavaliers d'être le "parrain" d'un poulain qui vient de naitre. Lorsque le cavalier vient au centre, il le nourri, le promène, lui change la paille. En contre partie, les monitrices le dresse. Lorsque le poulain est assez costaud, le cavalier peut le monter quand il le souhaite. »
Ce que Baptist ne disait pas, c'est que c'était ce qui lui avait permis d'avoir des leçons d'équitation pour Célian moins chers. Mais l'enfant n'avait pas besoin de connaitre les détails.
« Alors crapouille, elle te plait ma surprise ?
- Je l'adore. Il est trop beau.»

Enfant, Baptist avait eu le loisir de prendre quelques leçons d'équitation. Vous comprenez, cela faisait plutôt bon genre dans la haute société, cela reste un sport noble et aucun doute que les parents Levingston auraient aimé que leur garçon soit plus doué avec les chevaux. Mais Baptist prenait un malin plaisir de détester tout ce qui venait de ses parents. Il se souvenait parfaitement d'avoir fait exprès de tomber pendant le concours de saut d'obstacle, pile poil dans une flaque de boue. Son beau costume neuf qui venait d'un créateur était tout sale et même déchiré. Si des parents aimants se seraient inquiété de la santé de leur fils, ce n'était pas le cas des parents de Baptist. Il s'étaient même permis de mettre une brasse à leur fils. C'était la dernière fois qu'il était monté à cheval en public et c'était peut-être l'une de ses plus grandes victoires face à ses parents.

Depuis, il n'était jamais remonté à cheval. Pourtant, il aimait ces animaux mais disons qu'il assimilait trop l'équitation avec le côté bourgeois de ses parents. Et puis, Eléa avait toujours eu peur de ses animaux et donc cela l'avait aidé à rester éloigné des différents centres équestres. Pourtant, il avait changé d'avis pour Célian. Il avait mis ses idées reçues de côté pour faire le premier pas et entrer dans un centre équestre. Il était juste venu voir l'entrainement des jeunes mais aussi discuter avec les monitrices. Il s'était alors rendu compte qu'il se faisait simplement des fausses idées et s'est en se liant d'amitié avec l'une des monitrices qu'il avait décidé de prendre part à l'opération de parrainage avec un petit poulain. Cela donnait de bonnes valeurs et cela ne pourrait qu'aider Célian notamment à surmonter la perte de sa mère. Ainsi, il aurait la responsabilité de quelqu'un et il se sentirait certainement mieux, utile.

Baptist ne connaissait pas toute l'histoire du poulain. Il savait qu'il lui faudrait encore quelques mois avant d'être monté et qu'il était plutôt docile comme animal. Il savait aussi qu'il faisait partie des dernières naissances du centre équestre. Concernant la mère, il savait qu'elle était bien vivante et c'était pas plus mal pour Célian. Cela éviterait au gamin de trop plaindre l'animal et de se sentir trop proche affectivement de lui.
« Sa maman est morte à lui aussi ?
- Sa mère doit être au pré en ce moment. Ils doivent l'éloigner un peu de son poulain pour qu'il prenne un peu son indépendance et qu'il s'habitue aux autres chevaux et aux humains.
- Il va être bien avec nous deux. C'est beaucoup mieux qu'un poisson rouge.»

Baptist n'avait pas eu trop de doutes concernant l'effet de sa surprise. Et il suffisait de voir le sourire de Célian pour comprendre qu'il était heureux. Rien n'était trop beau pour son filleul. Baptist ne se doutait pas encore que tous les cadeaux, toutes les surprises qu'il réservait à Celian risquaient de lui couter cher, pas simplement au niveau de l'argent mais aussi par rapport à son fils. Pour l'instant, il pensait surtout à passer une journée magique. Baptist le regarda entrer dans le box et après quelques secondes d'observation, Jupiter se laissa caresser.
« Je peux venir autant de fois que je veux pour m'en occuper?
- Tu peux venir t'en occuper quand tu veux mais si tu peux pas venir tous les jours, c'est pas très grave, les monitrices s'en occuperont
- Je vais me débrouiller pour venir très souvent te voir, je te promets.
- Je sais bien que tu fera ton possible pour venir souvent, je te fais confiance là dessus. Et ne t'inquiète pas, si tu peux pas venir, je passerais le voir moi pour lui expliquer et pour lui donner à manger à ta place.»
L'intérêt n'était pas pour les enfants de venir tous les jours, mais de venir au moins une ou deux fois par semaine suivant les possibilités de chacun. Il ne savait pas si cela serait bien possible mais il essayerait de le faire, pour son filleul et surtout pour pas qu'il s'inquiète, pour pas qu'il ait l'impression de l'abandonner. Baptist se baissa alors à la hauteur de son filleul et enleva une mèche qui venait de passer sur ses yeux à cause du vent. Il lui adressa un sourire.
« Le monter, je pourrais pas, Maman a jamais voulu que je fasse de l'équitation. Mais peut-être qu'un autre enfant pourra le monter à ma place...  
- Je sais bien que ta mère n'a jamais voulu que tu montes à cheval mais toi, qu'est ce que tu veux ?
- Je voudrais bien essayer. Mais mes nouveaux parents voudront jamais acheter tout ce qu’il faut. Ils veulent même pas m’acheter des crayons pour le dessin, c’est mon professeur d’arts qui m’en prête et il me donne des cours gratuits, sinon je pourrais pas y aller. Ils trouvent ça ridicule de dessiner. Et ils détestent tout ce que j’aime. Si je leur demande de pouvoir faire du cheval ils voudront jamais. Et je préfère pas leur dire que je viens ici, sinon ils vont me l’interdire.
- Ne t'en fait pas, Crapouille. Y'a tout ce qu'il faut ici et on te prête tout le matériel. Ce n'est pas vraiment de la bonne qualité mais pour ton anniversaire, je t'achèterais certaines choses. Je les garderais chez moi comme ça, ils ne sauront jamais que tu fais du cheval. Ca te va comme deal ?
- Ca serait génial. Ca sera notre secret et personne n'en saura rien. »
Il lui parla ensuite rapidement du dessin.
« Tu prend des cours de dessin ? Tu dois dessiner comme un chef maintenant. Je me souviens que t'as toujours été doué. Tu m'en fera un pour mettre chez moi, dans ma chambre ?
- Oui, j'en prends le mercredi après l'école. J'aime bien y aller, et Lawrence, mon professeur, est super, je m'entends bien avec lui. Je suis le seul qui peut venir chez lui pour prendre des cours, normalement il les donne dans une école. Je t'en ferais un, je te promets. J'arrive à bien dessiner les chevaux en plus. Je pourrais te dessiner Jupiter si tu veux. Ou autre chose, ce que tu veux.
- Fait moi la surprise »
Il lui adressa un clin d'oeil complice. Pour une fois, ce serait le petit qui ferait une surprise à l'adulte et cela semblait plaire à Célian.

Le sujet revint rapidement sur le cheval et sur le fait de s'en occuper. Eléa n'était plus là et même si Baptist n'aimait pas aller contre sa volonté, il ne pouvait pas empêcher le jeune homme de faire ce qu'il aimait.
« C'est toi qui va m'aider à faire ça aujourd'hui?
- Je te l'ai jamais dit mais quand j'avais ton âge, je faisais de l'équitation en Angleterre. J'avais mon galop 4 et j'étais plutôt doué. J'aimerais bien partagé cela avec toi.
- On pourra aller faire des balades quand je saurais bien le monter ? J’aimerais bien. Tu me bats toujours à la course. A la course à cheval, j’aurais peut-être une chance
- Evidemment qu'on pourra faire des courses mais pas tout de suite hein. Il faut d'abord bien que tu sache t'y prendre avec lui pour éviter un accident. Tu monteras pendant quelques temps uniquement dans le manège ou si on fait des balades, c'est moi qui tiendrait l'animal. Je veux pas que tu te blesses. »
Si jamais il ne voulait pas aller à l'encontre de la volonté de sa mère, Baptist le comprendrait mais quoi qu'il en soit, il essayerait de le faire changer d'avis.

Depuis qu'il avait appris le décès d'Eléa, Baptist faisait tout ce qu'il pouvait pour occuper Célian. Il essayait de le faire sortir de sa routine et jusque là, ça semblait plutôt bien marché. En tout cas, lorsqu'ils étaient tous les deux, le petit garçon avait toujours le sourire et semblait toujours aussi proche de son parrain même s'il évitait toujours soigneusement de parler de sa famille d'accueil. Quoi que Baptist aussi évitait au maximum de parler de sa situation et c'était presque un deal silencieux entre eux. En tout cas, si réellement Baptist avait su ce que le petit devait endurer, aucun doute qu'il aurait fait son possible pour le tirer d'affaire. Il se serait certainement encore priver pour Célian mais ça en valait le coup. Il suffisait de voir le sourire du garçon lorsqu'il avait vu le cheval que toutes les privations de Baptist prenaient tout leur sens aujourd'hui. Aucun doute, cela en valait bien le coup. Il connaissait le côté responsable du garçon et très mature pour son âge et Baptist avait confiance en lui pour s'occuper de l'enfant. D'ailleurs, il prenait le temps de l'observer, d'approcher lentement sa main avant d'entrer dans le box toujours avec la même délicatesse. Ce n'est pas Nathan qui agirait aussi calmement. Levingston se souvenait de la première fois que Kazan, encore tout bébé, était arrivé chez lui. Nate avait failli se faire mordre parce qu'il tirait l'oreille du chiot et heureusement que Kazan avait toujours été docile parce qu'il était assez régulièrement pris pour un cheval ou bousculé dans tous les sens par le garnement. En tout cas, des fois, on se disait heureusement que les meilleurs amis sont aussi différents parce que deux Nate, ce serait trop épuisant à la longue et deux Célian, ce serait des fois un peu trop calme.
Maintenant arrivait le moment de s'occuper du poulain. Pour commencer, il fallait mettre le filet au poulain afin de l'attacher pour pouvoir le brosser tranquillement sans qu'il ne bouge de partout. Baptist attrapa un seau avec tout ce qu'il fallait dedans et il entra dans le box avec le filet. Il commença à expliquer à son filleul comment faire.
« Tu tiens le filet comme ça, ensuite, tu tiens la tête du poulain pour pas qu'il bouge et tu lui met le mort dans la bouche. Bon, c'est pas facile surtout qu'il est petit. Ensuite, tu lui met ça derrière les oreilles et t'attache les deux lanières sans trop serré. Tu veux essayer ? »
Baptist défit ce qu'il venait de faire et tendit le filet à Celian pour le regarder faire.

Il le regarda alors tel un père qui pourrait regarder son enfant même si Baptist savait parfaitement faire la différence entre Nate et Célian. Et Célian semblait prendre son rôle très à coeur et semblait ravi de pouvoir le monter d'ici quelques temps malgré la volonté d'Eléa. Comme quoi, concernant le cheval, il était capable d'aller à l'encontre des volontés de sa meilleure amie, peut-être qu'il parviendrait ensuite à se faire à l'idée que Micah entre dans la vie de Célian.
Et puis, il fallait aussi que l'animal ait confiance en son cavalier, ça s'était essentiel sinon, il pouvait finir par ruer ou par ne plus vouloir avancer. C'était pour cela que c'était mieux, selon Baptist, d'avoir un cheval attitré et adapté à l'enfant. Une fois l'animal attaché, Baptist l'emmena en dehors de l'enclos et accrocha les rênes à un anneau juste devant le box pendant que Celian allait chercher les brosses.
« Attention Crapouille, ne passe pas aussi près de son derrière sinon il va finir par te mettre un coup de sabot. Faut bien faire attention. »
Toujours très attentif au bien-être de l'enfant, il lui montra ensuite comment brosser le cheval. D'abord, le corps, puis le crinière et enfin les sabots. C'était le plus compliqué mais Célian était bien appliqué.
« On le brosse et puis après, on peux l’emmener faire un petit tour dehors ? Il avait l’air de s’embêter tout seul.
- Evidemment qu'on l’emmènera faire un petit tour. Y'a un circuit sympa à faire et y'a des beaux paysages à regarder. »
Il le regarda brosser l'animal et souriait toujours autant. Lorsqu'il eut terminé, il rangea les brosses dans un seau avant de détacher le cheval et de donner les rênes à Célian. Côte à côté, ils avançait tranquillement tous les trois. Lorsqu'ils furent un peu éloignés du centre équestre, Baptist aborda un autre sujet.
« Alors dit moi mon grand, comment cela se passe pour toi à l'école ?
- Baloo, tu sais que j'aime pas parler de ça. T'as oublié ? »
Baptist lui adressa un petit sourire et Célian lui parla comme pour le rassurer.
« Ca va... J'ai pas trop de copains, mais c'est pas grave, je suis tranquille pour dessiner comme ça. »
Baptist se rendait bien compte que cela ne plaisait pas trop à Célian de parler de cela et il ne voulait pas le vexer. Aussi ils continuèrent tranquillement la promenade.

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